Tomber amoureuse de Picasso devait être un cauchemar car la seule et unique passion du maître était lui-même, accessoirement son art. Ses compagnes furent tout au plus pour lui une manière de se distraire, un genre de hobby. Sa première épouse, Olga Khokhlova dont il eut un enfant, le quitta quand elle apprit qu’il avait une aventure avec une jeune fille de 17 ans, Marie-Thérèse Walter. Alors qu’il était lui-même âgé de 45, après un enfant avec cette dernière et de multiples idylles avec d’autres, il abandonna Walter en 1944 et à 63 ans pour Françoise Gilot qui en avait 23. C’est Jacqueline Roque – 43 ans plus jeune que Picasso - qui succéda à Gilot, après deux enfants et un livre où celle-ci égrena l’immense liste des conquêtes féminines de son ex-mari et qui se vendit à plus d’un million d’exemplaires.
Si Picasso fut incontestablement toxique pour ses malheureuses compagnes dont deux se suicidèrent, ses relations amoureuses étaient, pour lui, un carburant, une source d’inspiration et de renaissance dans son art car il put inventer un style nouveau quasiment avec chacune de ces femmes. Ayant vécu jusqu’à l’âge de 91 ans et ayant produit plus de 26'000 œuvres recensées (probablement le double en réalité), un calcul simple nous indique que Picasso s’est donc fendu d’une création par jour, chaque jour de son existence. Pour autant, ces femmes avaient-elles signé pour cette détresse et souhaité l’ombre qui leur était réservée comme prix d’être choisies par le maître ?
Le talent sublime de Picasso fut certes source de beauté, d’émotion voire de ravissement pour le monde, mais devait-il pour autant broyer ces personnes (dont ses propres enfants) qui lui étaient attachées ? Le succès – qui a toujours une face cachée – est complexe, son ampleur est systématiquement proportionnelle aux ombres qu’il masque. Notre société – qui porte aux nues la réussite, la célébrité et l’argent – devrait daigner s’intéresser aux coûts humains infligés aux autres par nos succès, et parfois à soi-même.
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